Exemple de collaboration avec les gestionnaires de routes en Bretagne

Franck Simonnet, Xavier Grémillet et Nicolas Chenaval (GMB)



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Mortalité routière
Depuis 1980, 270 cas de mortalité par collision routière chez la Loutre ont été recensés en Bretagne (région administrative). Ce nombre est en forte augmentation du fait principalement de l’accroissement de la population de loutres et de la recolonisation par l’espèce de zones aux réseaux routiers plus denses et plus circulés. L’examen des sites de collision fait apparaître que tout le réseau hydrographique est concerné (les collisions sont courantes au niveau de petits rus) et que plus d’un site sur dix est situé en dehors des cours d’eau, au niveau des lignes de partage des eaux. Concernant le réseau routier, 20 % de sites de collisions concernent les 2x2 voies (qui représentent 0,1 % du linéaire routier breton), 46 % des départementales dont le trafic est supérieur à 1 000 véhicules/jour, 19 % des départementales dont le trafic routier est inférieur à 1 000 véhicules/jour et 11 % des voies communales (dont certaines peuvent faire l’objet d’un trafic élevé). Enfin, 60,5 % des collisions ont lieu au niveau d’ouvrages de petit gabarit (type busages), 17,5 % au niveau d’ouvrages présentant un tirant d’air important mais une longueur conséquente et 22 % au niveau de ponts très transparents (grand tirant d’air et faible longueur).

Aménagement des premiers passages à loutres
Au cours des années 1990, une vingtaine d’ouvrages hydrauliques routiers sont équipés de passages à loutres sous l’impulsion du GMB. Il s’agit à l’époque d’aménagements opportunistes obtenus suite à un nombre de collision important et/ou au gré de l’action bénévole et militante qui permet d’avoir connaissance de projets d’aménagements routiers et de nouer des relations avec les personnels de l’État en charge des réseaux routiers (Directions Départementales de l’Équipement). Plusieurs types de passages sont ainsi installés : buses sèches, banquettes en béton en encorbellement ou non, passerelles en bois… Fait intéressant, l’aménagement de tels passages est également obtenu sur des sites où la Loutre n’est pas encore revenue ! Ils seront d’ailleurs utiles, quelques années plus tard pour suivre et repérer le retour de l’espèce – grâce à des pièges à empreinte et à épreinte – et même identifier les premiers cas de reproduction.

Aller au-delà des actions « opportunistes »
En 2005, ces différents aménagements font l’objet d’un contrôle afin d’évaluer leur fonctionnalité et leur pérennité (Simonnet et Grémillet, 2005). Ce contrôle permet alors de confirmer que le principe des passages à loutres est efficient pour réduire le risque de collision routière (y compris pour d’autres espèces), de conclure à la fonctionnalité des différents types de passages, mais également d’observer une série de facteurs pouvant affecter voire annuler cette fonctionnalité. Ainsi, des défauts de conception (positionnement inadéquat vis-à-vis des niveaux d’eau, non raccordement aux berges) ou d’entretien (absence de réparation, embroussaillement, manque d’entretien des clôtures…) des aménagements réduisent ou suppriment leur fréquentation par la faune.
A partir de cet inventaire, une série de recommandations à destination des concepteurs d’ouvrages est dressée afin de promouvoir la réalisation de passages à loutres et d’assurer leur efficacité. Des rencontres avec différents services en charge de la réalisation ou de la gestion d’ouvrages routiers sont alors organisées afin d’envisager de passer d’une phase d’aménagement « opportuniste » à une véritable stratégie d’aménagement.
En effet, si les réglementations environnementales obligent désormais à aménager des passages sous les nouveaux axes routiers (ce qui ne garantit pas pour autant leur fonctionnalité ni l’équipement de la totalité des ouvrages), de très nombreux ouvrages existants présentent un risque de collision élevé (5 à 25% selon les secteurs). Il existe donc un enjeu fort à les réhabiliter.

Collaboration avec la DIR Ouest
Les routes nationales, pour l’essentiel des 2x2 voies, sont gérées en Bretagne par la DIR (Direction Interdépartementale des Routes) Ouest. Depuis 2012, une convention entre le GMB et la DIRO prévoit la réalisation de diagnostics des ouvrages hydrauliques (identification des aménagements pouvant être réalisés et hiérarchisation des priorités d’interventions), la fourniture d’un conseil et d’une assistance pour la réalisation des passages à loutres, un suivi de ceux-ci, un suivi de la mortalité chez les mammifères et des actions de formation des agents. Ces formations concernent l’aménagement des passages à faune, l’identification des mammifères trouvés écrasés sur les routes et plus largement à la préservation de la biodiversité. A ce jour, six ouvrages ont été équipés de passages à loutres dans ce cadre et le plan d’action dont s’est dotée la DIRO en 2015 prévoie de nouveaux aménagements dans les années à venir. Des aménagements ambitieux (fonçages pour installation de buses sèches, remplacement d’un ouvrage…) ont par ailleurs été envisagés sur un bassin versant particulier mais n’ont pu être réalisés faute de moyens financiers.

Collaboration avec les départements
Les routes départementales regroupent près des deux tiers des sites de collision, c’est-à-dire la majorité des ouvrages hydrauliques à risque. La réhabilitation des ouvrages départementaux constitue donc une priorité.
Les services départementaux chargés des routes établissent annuellement une liste des ouvrages devant faire l’objet de réfections ou d’un remplacement. Il est alors relativement aisé d’identifier les améliorations possibles et de les mettre en œuvre si des naturalistes sont associés. Par ailleurs, la prise en compte du « paramètre loutre » dans les critères d’inscription des ouvrages dans la programmation annuelle d’interventions pourrait être envisagée, ceci en fournissant aux services concernés les éléments existants concernant le risque de collision. De telles collaborations peinent à voir le jour en Bretagne mais le travail de sensibilisation fait peu à peu progresser les mentalités.
En Loire-Atlantique, une collaboration a ainsi été développée avec le service ouvrage d’arts du Département. Une convention de partenariat prévoit l’expertise par le GMB (enjeux loutre et chauve-souris) de 10 à 15 ouvrages devant faire l’objet d’interventions par an, des conseils d’aménagement et la formation des agents. De façon consécutive, certains agents font également appel aux services du GMB de leur propre initiative.

En conclusion
Les collaborations ainsi mises en place sont bien souvent le fruit d’un travail méticuleux de sensibilisation, de la ténacité de quelques bénévoles et de rencontres humaines. Elles trouvent souvent leur source dans l’engagement d’une personne à la base des organigrammes. Ceci souligne l’importance du travail parfois ingrat de sensibilisation exercé par les associations de protection de la nature et d’autres organismes.

En parallèle, la prise de conscience de l’importance de la problématique des continuités écologiques par les directions des services gestionnaires des routes a été rendue possible, outre la sensibilisation, par les contraintes réglementaires, par l’existence même d’un Plan National d’Actions en faveur de la Loutre et enfin par les discussions autour de l’élaboration des schémas de cohérence écologique. Espérons que les moyens financiers alloués à la mise en place de trames vertes et bleues permettront d’accélérer la sécurisation des franchissements routiers pour la loutre, et pour le reste de la faune.

Références
Simonnet F. et Grémillet X. 2005. Otter passes efficiency in Brittany (France). European Otter Workshop. Padula (Salerno), Italie, 20-23 Octobre 2005.

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